Ex-journaliste et aujourd’hui contrôleure générale des prisons, Dominique Simonnot a fait de la surpopulation carcérale son combat prioritaire. Elle observe que les peines alternatives telles qu’elles sont accordées ne font pas baisser le nombre d’incarcérations. Nommée en 2020 au poste de contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot inspecte les conditions de détention des condamnés français. Elle peut visiter les structures carcérales à tout moment pour s’assurer du bon respect des droits fondamentaux. Son constat sur l’état des prisons françaises est alarmant.
Anaëlle Charlier et Léa Fanelli (rédaction); Anaëlle Charlier (édition)
Au 1er août 2023, la France comptait plus de 74 000 détenus pour 60 000 places opérationnelles. Près de 2 400 détenus étaient contraints de dormir sur un matelas posé à même le sol. Quelle est la situation à présent ?
Dominique Simmonot : « On est à 77 200 personnes emprisonnées, avec 3 000 matelas par terre en février 2024. En France, le taux d’occupation des prisons dépasse 145% (NDLR: en maison d’arrêt), ce qui est un vrai problème pour les conditions de détention. Pendant ma dernière visite, j’ai vu un monsieur qui dormait allongé sur le sol. Ils étaient trois dans la cellule et ce monsieur de 81 ans dormait par terre. Il en a pleuré pendant tout l’entretien. C’est normal que la prison punisse mais ce n’est pas normal que ça se transforme en châtiment corporel. Ce n’est pas normal d’avoir des personnes entassées à trois dans une cellule avec des rats, des câbles électriques qui dépassent et de la pourriture. »
Que dire des personnes atteintes de troubles psychiatriques qui sont incarcérées ?
D.S : « On estime qu’il y a 30% des prisonniers qui sont atteints de troubles psychiatriques caractérisés. Ils n’ont rien à faire là. Simplement comme la psychiatrie est devenue lamentable, on entasse les gens en prison plutôt que de les soigner. Les prisons sont devenues nos asiles d’antan. Et ces mauvaises conditions se répercutent aussi sur les surveillants, qui ont des conditions de travail terribles. Les détenus et les surveillants se sentent abandonnés. »
L’État promet de construire 15 000 nouvelles places de prison d’ici 2027. Est-ce que ces cellules supplémentaires peuvent résoudre la surpopulation carcérale ?
D.S : « Il faut d’abord considérer que les 15 000 places promises ne seront jamais construites à temps. Depuis la promesse d’Emmanuel Macron faite en 2018, on est peut-être à 4 000 places pour le moment. On est donc très loin. Les gouvernements qui se succèdent reprennent les chiffres et les objectifs des gouvernements antérieurs. Dans tous les cas, pour nous, cette solution n’en est pas une car plus on construit, plus on remplit. Même si le garde des Sceaux dit que c’est faux, on n’a jamais prouvé le contraire jusqu’à présent. »
Le développement des peines alternatives pourrait-il lutter contre la surpopulation carcérale ?
D.S : « Le nombre de peines alternatives croit autant que les emprisonnements. Ce qui veut dire que malheureusement les peines aménagées tombent sur des gens qui ne seraient pas allés en prison. Les peines alternatives ne remplacent pas la prison, elles s’y ajoutent. Pour remplir leur rôle, elles devraient être accordées à des gens qui seraient allés en prison. «
Y’a t-il de meilleurs résultats de réinsertion après avoir bénéficié d’une peine alternative que d’un emprisonnement ?
« Oui, c’est sûr que dans tous les cas c’est mieux de bénéficier d’une sortie encadrée, qui est beaucoup plus porteuse de réinsertion qu’une sortie dite sèche. »
Y’a-t-il d’autres solutions pour remédier à la surpopulation carcérale ?
D.S : « Ce que je prône, c’est la régulation carcérale. On ne devrait pas emprisonner plus de personnes que l’on a de place. L’Allemagne a réussi. Ils ont 20 millions d’habitants de plus que nous, et ils ont 15 000 détenus de moins. Il y a un détenu par cellule, 60% d’entre eux ont un travail, contre 26% ici et il n’y a pas d’explosion de la délinquance, au contraire. J’ai visité les prisons allemandes, c’est la honte pour nous. Chez nous, certaines prisons atteignent 245% d’occupation, à Bordeaux-Gradignan ils ont arrêtés d’emprisonner de nouvelles personnes quand la jauge a atteint 230%. En Allemagne, quand une prison arrive à 90%, plus personne ne rentre. »