Ève Thieffry : « La loi Asile Immigration a encore restreint les aménagements de peine »

Les peines alternatives ont toujours été octroyées de façon exceptionnelle aux condamnés étrangers qui n’ont pas de titre de séjour. Eve Thieffry, avocate lilloise, explique comment la loi Asile Immigration de 2024  a encore restreint les aménagements de peine.

Yousra Larbi Alami (rédaction), Anaëlle Charlier (édition)

« Le code pénal ne fait pas de distinction entre un citoyen français et étranger au niveau de l’application des peines alternatives mais concrètement dans les faits, ce n’est pas comme ça que cela se passe« ,  affirme Ève Thieffry avocate lilloise spécialisée en droit des étrangers. Pour bénéficier d’un aménagement de peine, il faut a minima avoir un titre de séjour.  

Un emploi ou une formation, un logement sont des critères importants pour être condamné à un bracelet électronique, à un travail d’intérêt général ou une semi-liberté.  Le placement extérieur (hébergement dans une association) exige aussi une situation administrative stable. Autant dire que, s’il risque la prison pour un délit grave ou une récidive, le prévenu étranger sans titre de séjour en France sera systématiquement condamné à une peine avec incarcération.

La fin de peine en prison est tout aussi discriminatoire pour un détenu étranger. Les aménagements de peine devraient en principe s’intégrer dans leur parcours pénal. Dans la pratique, cela arrive de façon exceptionnelle. 

Ève Thieffry commente : « Le juge d’application des peines a un dossier, et face à une demande d’alternative à l’emprisonnement, il va prendre en considération l’ensemble des éléments sur la situation de la personne. Étrangère ou non, c’est toujours le même raisonnement. Sauf que quand on est étranger, le juge se demandera d’abord si la personne est en situation d’y avoir droit.

Expulsion dès la sortie de prison

Certains étrangers en situation administrative irrégulière se voient notifier des mesures d’éloignement ou d’expulsion préalablement à la détention ou au cours de celle-ci.

« Il y a une collaboration entre la préfecture et le parquet. Le préfet va être informé qu’un étranger est détenu. L’administration peut saisir l’occasion d’organiser des mesures d’éloignement par le biais d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF ndlr) », explique l’avocate. Il arrive aussi que des personnes étrangères soient incarcérées avec une situation administrative régulière mais avec un titre de séjour qui expire pendant leur détention. Il est difficile de renouveler ses papiers depuis le fond de sa cellule. Là encore, la menace d’expulsion pèse : « La préfecture va mettre en avant le fait que la personne n’a pas de titre de séjour et que, de ce fait, un aménagement de peine ne peut pas être prononcé. »

Tolérance zéro

L’avocate déplore un durcissement politique : « Aujourd’hui, c’est tolérance zéro à l’égard des étrangers tant au niveau de la préfecture que du parquet. Depuis la loi Asile Immigration, un bon nombre de protections qui étaient propres à certaines catégories de personnes étrangères vont disparaître. C’est le cas pour des parents d’enfants français qui jusqu’à présent n’étaient pas expulsables » 

Et de préciser : « La notion detrouble à l’ordre public ou menace à l’ordre public” inscrite dans la loi Asile Immigration permet de systématiser les OQTF envers les personnes ayant commis des délits. Ainsi un parent d’enfant français ayant commis un délit n’est plus protégé d’expulsion en raison de la loi de janvier 2024. De ce fait des personnes qui, dans le passé, pouvaient bénéficier de peines alternatives ne le pourront plus. Dès que la personne étrangère a fini sa peine, la police de l’air et des frontières l’attend à la sortie de prison et il est renvoyé dans son pays. »

Un détenu étranger en fin de peine peut néanmoins écourter son incarcération. Mais pour bénéficier d’une libération conditionnelle, il doit s’engager à quitter le territoire français. Dans ce cas, il est directement conduit de la prison à l’aéroport. Si le départ n’est pas immédiat, il sera placé en centre de rétention administrative. Mais là encore, l’application de cette alternative est rare. Car elle dépend de la volonté de nombreux acteurs. Y compris dans le pays de destination.