Jean-Réné Lecerf a été maire de Marcq-en-Baroeul, sénateur ou encore président du département du Nord. Sa vie politique désormais terminée, il est aujourd’hui président de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Rapporteur du projet de loi pénitentiaire de 2009, il reste un spécialiste des prisons. Il est intimement convaincu que les peines alternatives permettent davantage une réinsertion.
Julie Subitte (rédaction et édition)
Aujourd’hui, les lieux de privation de liberté accueillent une population record. Ces conditions condamnent-elles à la récidive ?
Jean-René Lecerf : « On a battu un nouveau record en novembre avec 75 130 détenus, avec un taux d’occupation de 125 % qui est concentré sur les maisons d’arrêt, donc avec une grande partie de personnes qui ne sont pas encore condamnée car en attente de jugement et donc présumée innocente.
La question de la surpopulation carcérale est une question complexe à laquelle la France fait face depuis des décennies, mais qui ne s’arrange pas. Aujourd’hui, on est un paradoxe parce que globalement, en Europe, on constate une diminution des personnes incarcérées depuis 2013 alors qu’en France, le chiffre ne cesse d’augmenter.
Je me souviens d’un exemple marquant à la prison de Béthune au début des années 2000. En rentrant dans une cellule, je découvre trois hommes terrorisés, d’une cinquante d’années. Je me présente et je leur explique que je viens me rendre compte de ce qui s’y passe. A la suite de ces mots, l’un éclate en sanglots en m’expliquant qu’il n’a pas de nouvelles de sa famille. Le deuxième me dit qu’il ne va plus aux douches, car il a été violé la dernière fois qu’il y est allé. Le troisième raconte qu’ils ont décidé de plus bouger, de renoncer aux promenades pour se terrer dans leur cellule. Comment voulez-vous qu’on réinsère ces personnes qui ont été coupées du monde ?
Les conditions de détention encouragent davantage la récidive et selon moi, il n’est pas de meilleur rempart contre la récidive que la qualité de la réinsertion. »
La question de la surpopulation carcérale entraîne-elle un sursaut des peines alternatives ?
J-R L : « Ces peines alternatives sont des vrais débats politiques. En 2009, nous avons rendu possible le fait de trouver une alternative à l’enfermement lorsque vous êtes condamné jusqu’à deux ans de prison ferme. L’encre de la loi était à peine sèche qu’il y avait déjà des propositions faites pour supprimer ce délai de deux ans et le faire retomber à un an.
La loi de 2009 a permis de largement encourager les peines alternatives. Je lisais les dernières statistiques et il y a, aujourd’hui, 43 % des personnes qui sont condamnées à de la prison ferme et qui ne font jamais de prison grâce aux peines alternatives. Mais ces peines ne sont pas encore assez utilisées.
Aujourd’hui, il y a un effort très important sur le budget accordé à la Justice, mais curieusement l’augmentation considérable des crédits ne bénéficient pas au développement des alternatives à la prison. »
Quelle peine alternative vous semble la plus efficace ?
J-R L : « Le travail d’intérêt général (TIG) est une peine alternative tout à fait intéressante et qui pourrait marcher beaucoup mieux qu’il ne marche. Quand j’étais rapporteur des lois pénitentiaires, j’ai rencontré beaucoup de maires et de représentants de la société. Beaucoup étaient volontaires pour accueillir des TIG à une condition : que ceux qu’ils embauchent ne fassent pas partie de leur commune. C’était un argument que je comprenais très bien en tant qu’ancien maire et qui n’est en aucun cas un frein à la mise en place d’un TIG. Mais ces maires ne se sont jamais vu proposer un chantier de TIG.
Je pense tout simplement qu’il n’y a pas eu une volonté politique assez forte pour accompagner ces maires. S’il y en avait une, les peines de TIG seraient plus efficaces. Le TIG ne serait, alors, plus une occupation qui permet d’éviter la prison et ses traumatismes, mais un élément d’initiation au métier des communes comme à celui des espaces verts. Qu’est-ce qui interdirait que le TIG puisse être la formation et l’apprentissage d’un métier ? »
Sur quelles mesures la France devrait-elle s’appuyer pour améliorer ces peines alternatives ?
J-R L : « Déjà, il faut réformer la prison pour qu’elle puisse redevenir un lieu plus calme, où l’agressivité n’est plus à fleur de peau et où l’on puisse travailler, étudier et préparer sa réinsertion. On a commencé ce travail en 2009 en précisant le rôle de la peine dans le premier article de la loi. La peine ne doit pas servir uniquement à sanctionner et à réparer ( NDLR : indemniser les parties civiles). Elle doit également préparer la réinsertion et lutter contre la récidive.
Pour ce qui est des peines alternatives, je ne pense pas qu’il faille en créer des nouvelles, mais il faut en proposer davantage. Je pense que nous avons des progrès à effectuer notamment sur l’enrichissement des TIG et sur les bracelets électroniques, très utilisés en Espagne pour lutter contre les violences conjugales. Nous avons un vrai retard sur le sujet. »