David fait partie des 15 832* personnes en France qui portent un bracelet électronique. Une peine alternative qui permet de conserver une activité professionnelle mais qui est très contraignante.
Anaëlle Charlier et Yousra Larbi Alami (Rédaction), Anaëlle Charlier (Edition)
Son café à peine servi, David y ajoute deux sucres et le boit presque d’une traite. “J’ai honte que ce soit vous qui m’invitiez”, précise-t-il. Il nous prévient qu’il n’a pas beaucoup de temps, “seulement une heure” car il doit se rendre au SPIP (Service pénitentiaire d’Insertion et de Probation) à 11h. Installé droit sur sa chaise dans un café de Seclin, doudoune et survêtement intégralement noirs, regard franc et discours clair, David ne renvoie pas l’image d’un gars honteux. La raison de ce sentiment qui l’envahit réside dans le boîtier en métal blanc qu’il porte accroché à sa cheville : un bracelet électronique qui va le suivre pendant deux ans.
Arrivé en France à la fin des années 90, le bracelet électronique est l’une des peines alternatives à l’emprisonnement les plus connues. La détention à domicile a été développée depuis la loi de réforme pour la justice de 2019.
Aujourd’hui, près de 15 000 personnes sont concernées dans l’Hexagone. Invisibles, leur quotidien est mal connu. Pourtant, les porteurs de bracelet font partie de ces gens qu’on croise au supermarché, à qui on ne fait pas attention en récupérant ses enfants à l’école. Difficile alors de projeter l’impact qu’a cette peine alternative à l’incarcération sur les récidives et la réinsertion.
Une vie sous contrôle
Depuis six mois, la vie de David est rythmée par les horaires imposés de la surveillance électronique à domicile. « J’ai le droit de sortir entre 8h et 16h en semaine et de 14h à 17h le samedi et dimanche« , explique-t-il, totalement neutre. Un ton déroutant au vu de la situation qu’il décrit. Le bracelet électronique est programmé pour sonner à la moindre minute de retard : “J’ose rien faire, j’ai trop peur que ça sonne.”
Une situation qu’il a pu éviter au prix d’une extrême vigilance. En dehors de son travail, l’homme de 28 ans évite toute sortie loin de chez lui : « Quand je veux sortir, c’est comme si je devais demander une autorisation d’absence de chez moi. »
David n’a pas de travail stable, il enchaîne les missions ici et là. Il indique : « Si j’ai une offre d’embauche, je dois monter un dossier au SPIP. Après, je dois gérer les horaires du bracelet en comptant le taff, le rendez-vous avec ma conseillère et les transports. »
Chacun de ses faits et gestes est contrôlé par la justice qui suit son évolution. En complément de sa condamnation, il doit se faire accompagner psychologiquement et se montrer chaque semaine au commissariat.
Si le fait de faire sonner son bracelet ne provoque pas l’incarcération immédiate, se défiler lors des rendez-vous l’incriminerait. Le contrôle, David l’affirme, est sans pitié : « Si tu rates un pointage tu vas en prison.” Le trentenaire, bonnet vissé sur la tête, parle sans vaciller mais cette situation provoque chez lui un état d’hypervigilance : « Tu vis sur l’heure, tu es toujours accroché au téléphone.«
Repli social
Cette vie rythmée par la justice, à la minute près, l’a totalement isolé socialement. À seulement 28 ans, David se présente comme un loup solitaire. Il explique adapter son comportement aux lieux qu’il fréquente : “J’évite certains endroits et certaines tenues car j’ai peur que quand les gens me voient, ils se disent lui, c’est pas un gars bien. » La pensée du bracelet électronique ne quitte jamais son esprit.
Parfois je me dis que j’aurai préféré aller en prison.
David, porteur de bracelet électronique
Malgré son amour des « belles fringues », David exclut les shorts et les maillots de bain, qui rendent son bracelet trop voyant. Depuis sa condamnation, il a rompu avec sa copine, mère de ses deux enfants, et avoue « s’être isolé socialement. » De même, il a coupé les ponts avec bon nombre de ses proches sur qui il aurait pu compter, car il » n’aime pas demander des services aux gens » par peur de se sentir redevable.
Au cours de la description de son quotidien, il ne remet jamais en cause la justesse de la décision de justice : « Vous voyez, quelqu’un qui vole un malabar, on le punit, c’est aussi pour l’aider. » Convaincu que cette peine va l’aider à se ranger, il se plie aux injonctions sans se faire prier. Pourtant, après avoir énuméré la longue liste de ses obligations, il finit par lâcher : « Parfois je me dis que j’aurai préféré aller en prison.”
Il sourit dans sa barbe, et ajoute : « J’ai fait des conneries, j’assume. Mais ils sont venus me chercher pour un truc que j’ai fait il y a 8 ans. » Une procédure à rallonge durant laquelle il n’a jamais cessé d’être sous contrôle judiciaire. Après sa condamnation à deux ans de prison sans mandat de dépôt, il a été convoqué avec sa conseillère de la SPIP. C’est avec elle qu’il a discuté de sa peine : « J’ai eu un aménagement parce que j’ai des enfants« , conclut-il, toujours sans la moindre colère.
Le parcours derrière la condamnation
Le trentenaire est né à Lille mais n’a que peu de souvenirs de ses parents: « De mes 2 à 7 ans, je n’ai pas vu ma mère. Mon père je l’ai rencontré il y a 8 ans ». Il a grandi dans un cadre instable. D’abord trimballé entre plusieurs familles d’accueil, il est placé à l’Aide Sociale à l’Enfance pendant son adolescence. Il connaît les foyers de Charleville-Mézières, Toulon et Chamonix.
Des années plus tard, il regrette le lien familial et l’absence de stabilité qui l’ont empêché de devenir un adulte responsable : « Aujourd’hui j’ai 28 ans et je ne sais pas faire mes papiers moi-même. »
Adolescent en manque d’autorité, il commet tôt ses premiers délits. Il est condamné plusieurs fois à des peines de travail d’intérêt général entre ses 14 et 17 ans. Des peines qui restent vaines pour un jeune dont le parcours n’a pas permis réellement de lui faire prendre conscience des cadres et des interdits : « Au foyer, vous n’avez pas peur de la police.”
Est-ce que le David adolescent a tiré des leçons de ses journées passées à entretenir les espaces verts ? “On ne nous donnait pas de directives, pour moi c’était pas une peine, c’était la colonie de vacances”, raille-t-il.
À 18 ans, David est prié de s’en aller du foyer. Il n’a ni point de chute ni économies : « Difficile de trouver un taff, j’allais pas arriver chez mon patron avec tous mes sacs », souffle-t-il en regardant par terre.
Incapable de s’insérer dans la vie professionnelle et sociale, il survit au jour le jour :“Quand on sort d’un foyer on se demande juste, qu’est ce que ça fait de voler.” David trifouille le fond de sa tasse de café au lait, les yeux baissés. Il marmonne : “J’ai dormi trois ans sous un pont.”
Une raison de s’accrocher
Dix ans plus tard, l’adolescent a bien grandi, mais ne s’est jamais éloigné de la justice. Revenu dans le Nord il y a huit ans, David a fondé une famille. Il est devenu père de deux enfants, une paternité qui a fait résonner sa récente condamnation comme un coup de massue.
Lysandro et Aron représentent son point d’attache le plus fiable. En revanche, la détention à domicile a mis fin à son couple : “Comme j’étais trop coincé à la maison avec elle, ça a pété”. Il voit ses enfants dès qu’il peut, et les garde toujours près de lui. Sur son fond d’écran, on peut voir un selfie des fils avec leur père, la mine dorée par un filtre instagram.
C’est avec eux que le port du bracelet se révèle être le plus difficile. Depuis que David a eu son aîné il y a cinq ans, il affirme s’être rangé : “Je vais voir mes enfants dès que je peux, après le travail, avant de pointer. Je fais l’aller retour jusqu’à Lille pour les voir après l’école.”
Les deux garçons ont été confiés à leur mère. David n’a qu’un droit de visite et peut parfois les emmener le temps d’une journée. Contrairement aux autres parents, il n’a aucune flexibilité pour allonger les temps de jeu de ses enfants : “Quand je suis au parc avec eux et que j’ai le bracelet qui sonne dans une heure, bah il sonnera dans une heure et pas dans une heure et demie.”
Lysandro, 5 ans et Aron, 1 an “ne réalisent pas très bien ce qui arrive à leur père”, estime David. Par contre il en est certain : « Si j’étais allé en prison, ils s’en seraient rendus compte”. Pour David qui n’a pas pu être proche de son propre père, c’était hors de question d’être absent. C’est cette conviction qu’il a fait valoir pour éviter l’incarcération.
L’homme au parcours jalonné de condamnations voit dans son bracelet électronique, la dernière peine de sa vie. Pourtant, il ne manque pas d’exemples pour expliquer sa défiance envers le système judiciaire. David raconte avoir été “humilié” par la police lors d’un contrôle routier où il transportait des collègues de travail : “Le policier a lu tous mes délits devant tout le monde. » Sa voix se casse en évoquant le souvenir : « Après quand je voyais le gyrophare de la police j’accélèrais.”
Longtemps au service de probation, il s’est senti affublé d‘une “étiquette de délinquant”. Mais l’écoute attentive de sa conseillère actuelle, qui a proposé le bracelet, l’a rassuré. Aujourd’hui, il a la chance de changer. Il espère, à l’issue de sa condamnation, reconstruire sa vie et s’occuper de ses enfants.
*Chiffres du ministère de la Justice au 1er mars 2023.