Ugo Bernalicis a été longtemps en charge des questions de sécurité pour La France Insoumise. Lorsqu’il est devenu député en 2017, il ne se voyait pas penser ces questions de sécurité, sans le volet justice. Aujourd’hui, il est convaincu que pour certains types de délits les peines alternatives doivent être davantage considérées, car elles permettent une individualisation de la peine.
Julie Subitte (rédaction et édition)
Aujourd’hui, on ne cesse de battre des records concernant le taux de surpopulation dans les prisons françaises. Comment l’expliquez-vous ?
Ugo Bernalicis : « On a toujours eu tendance à remplir les prisons depuis des siècles, ce qui n’aide pas. Cette surpopulation s’explique aussi par l’inflation pénale qui vise à délit identique à augmenter la peine d’emprisonnement. Les gouvernements successifs ont augmenté le quantum de peine, mais aussi créé des nouvelles peines et il y a des infractions supplémentaires. Je ne sais pas combien de fois, on a touché au Code Pénal, rien qu’en 6 ans, c’est de la folie.
Cette surpopulation est aussi le fruit de la « comparution immédiate », la procédure la plus pourvoyeuse de peines de prison en France. C’est pourquoi, je suis pour sa suppression telle qu’elle fonctionne et telle qu’elle est construite aujourd’hui. Je suis pour une procédure rapide de jugement. Mais pour moi, on ne doit pas pouvoir y prononcer de peine de prison. Il faut aussi revoir les critères de détention provisoire. Il y a des infractions où il faudra dire « la prison, c’est complètement stupide » et modifier le Code Pénal, je pense, par exemple, aux rodéos motorisés. Dans ce cas, prononcer des peines telles que le travail d’intérêt général (TIG), ça me semble déjà un peu plus intelligent. Ça pourrait même être un stage à l’hôpital dans le service des accidentés de la route. Je pense que ça peut calmer pendant quelque temps. »
Le 4 juillet vous avez déposé une proposition de loi en faveur du mécanisme de régulation carcérale, en quoi cela consiste-t-il ?
U.B : « On est parti d’un principe qui fait consensus : la surpopulation instaure tension et insécurité. Elle ne permet pas de réinsérer les détenus, de s’occuper d’eux et ça, ce n’est pas acceptable, ni pour les condamnés, ni pour les agents pénitentiaires.
La régulation carcérale est un principe qui vise à faire sortir de manière anticipée les détenus les plus proches de la sortie pour en faire rentrer des nouveaux. C’est exactement ce qui a été fait pendant la période du Covid. Et ça n’a pas eu comme conséquence une explosion de la délinquance dans le pays.
Si Rémi Heitz, procureur général près la Cour de cassation, arrive à la même conclusion que le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté), que moi, et que plein d’autres gens, c’est que c’est sûrement le moment de le faire ! Mais, comme depuis 1er janvier 2023, le ministère de la Justice a mis en place la libération sous contrainte de plein droit, Éric Dupond-Moretti veut d’abord voir son propre bilan avant de s’intéresser à notre proposition. »
Pour lutter contre cette surpopulation, les peines alternatives sont souvent mises sur le devant de la scène. Que pensez-vous de ces peines ?
U.B : « Je préfère parler de peine de probation, car pour moi, on ne doit pas penser en alternative à la prison, mais en peine à part entière et individualisée par le juge, avec toute la valeur qu’elle doit avoir. En revanche, ce modèle est applicable seulement si les magistrats ont le temps nécessaire pour étudier les profils. On ne pourra jamais dire pour tel délit, ce sera un TIG, pour celui-là une détention à domicile.
Quand on prononce un TIG, il faut garder à l’esprit que pour beaucoup c’est le premier contact avec le travail, où ils viennent tous les jours et ils savent qu’ils vont pouvoir revenir pendant deux mois. Il faut vraiment penser individualisation de la peine et donc avoir une diversité de choses à proposer.
En revanche pour moi, le bracelet électronique est la mesure la moins personnalisable. Elle permet juste de rassurer la population en disant : pas d’inquiétude, il y a eu une réponse pénale. Et puis, combien de personnes se sont retrouvées en infraction, car leur bracelet a sonné, car elles n’étaient pas à leur domicile à 19 heures alors qu’elles se trouvaient dans les bouchons en revenant du travail ? C’est hyper infantilisant. »
Pensez-vous qu’il faut changer le regard sur ces peines pour qu’elles soient mieux acceptées ?
U.B : « Pour que ces peines soient vraiment efficaces, il faudrait changer le regard de l’opinion publique, c’est certain. Globalement, la population pense que si on n’est pas incarcéré, on n’est pas vraiment condamné et c’est ça le problème. Donc il faut mener un discours politique et public.
Il y a des tribunaux où il n’y a plus un seul TIG de prononcé sous prétexte que le taux de réussite n’est pas de 100 %. On évalue à 30 % l’échec. C’est du délire d’entendre que certains remettent en cause les peines de probation, mais pas la prison alors que le taux de récidive après une incarcération est beaucoup plus élevé.
L’objectif n’est pas d’incarcérer moins pour incarcérer moins, mais incarcérer moins parce que ça fonctionne mieux. »