« Le juge d’application des peines est du côté de l’intérêt général »

Cécile Delazzari exerce dans la magistrature française depuis dix-sept ans dont dix en qualité de juge d’application des peines. Vice-présidente de l’Association nationale des juges d’application des peines (ANJAP), elle revient sur son métier, maillon méconnu mais pourtant essentiel de la justice en France. Avec une priorité : Être au service de l’intérêt général.

Sacha Gross (Rédaction), Julie Subitte (Edition)

Quelle serait votre définition du métier de juge d’application des peines ? 

Cécile Delazzari : Je dirais que c’est un métier de suivi des gens, d’accompagnement encadré. Une profession judiciaire avec une part d’autorité, mais aussi, un métier qui nécessite de croire en l’être humain. Où on a du temps pour voir les gens évoluer et trouver le cadre dans lequel cette évolution sera possible. Dans le cadre qui est à notre disposition, on essaie de trouver la solution la plus adaptée pour faire revenir dans la société, une personne condamnée.

Le métier a-t-il évolué depuis votre prise de fonction ? 

C.D : Quand je suis sortie de l’École Nationale de la Magistrature en 2005, l’enseignement de l’application des peines était embryonnaire. C’est une spécialité récente puisque la notion d’un juge qui se consacre uniquement à l’application des peines a été envisagée seulement depuis les années 2000. Son existence a été confortée par deux lois en 2004 et 2009 (lois Perben NDLR). Aujourd’hui, l’application des peines prend beaucoup plus de place dans les enseignements.  

Pourquoi avoir choisi la voie de la justice ? 

C.D : Je suis allée en droit par hasard. Mais quand j’ai vu ce qu’était un juge, ça m’a vraiment donné envie. C’est une place dans l’institution judiciaire qui est du côté de l’intérêt général. Le hasard des mutations m’a fait devenir juge d’application des peines. Ce qui m’intéressait dans ce travail, c’était de voir ce que devenaient les peines une fois qu’elles avaient été prononcées. Quand on sait, on ne prononce plus tout à fait la même chose parce qu’on est conscient de ce que ça donne derrière. C’est ce qui m’a fait rester. Parce qu’on a un suivi des gens, du temps pour les voir évoluer.

À quoi ressemble une journée de juge d’application des peines ? 

C.D : Cela varie en fonction de ce que vous avez comme type de poste. Il y a deux grands domaines : le milieu ouvert et le milieu fermé. En ce qui me concerne, j’occupe un poste mixte. Quand j’accompagne des condamnés incarcérés, je passe ma journée en prison. Pour suivre le quotidien de leur détention par le biais de la commission d’application des peines ou discuter avec eux d’un projet d’aménagement de peine. Je rencontre aussi des condamnés en milieu ouvert dans mon bureau. J’ai des dossiers, des jugements à rédiger … C’est très diversifié. 

« Quand on sait ce que les peines deviennent, on ne prononce plus tout à fait la même chose par la suite. »

Cécile Delazzari, vice-présidente de l’ANJAP

Comment se passe la prise de décisions ? 

C.D : Dans la majorité des cas, le JAP prend ses décisions seul. C’est une fonction qui s’exerce à juge unique sauf pour des faits très graves. Dans ces cas, un collège de trois juges se réunit (le tribunal d’application des peines). Mais pour la majorité des situations, on statue seul, après avis du SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) et du procureur de la République. Cette décision solitaire est prise néanmoins à partir d’éléments qui nous viennent de nos partenaires et de nos collègues. Il s’agit de mettre en balance les différentes informations que l’on a à notre disposition et les objectifs que l’on doit essayer d’atteindre.

Quelle relation établissez-vous avec les condamnés ? Comment accompagner tout en gardant de la distance ?

C.D : Il n’y a pas de réponse absolue. Pour être un bon juge et un bon magistrat de manière générale, il faut conserver une capacité à s’émouvoir sinon, cela nous éloigne trop de la réalité. Mais il est nécessaire de savoir maîtriser ses émotions pour que ce ne soit pas elles qui emportent la décision. C’est une sorte d’équilibre instable. Plus on pratique, plus on se connaît et on arrive à savoir sur quoi on va être un peu plus sensible. 

Le délibéré, juste avant la prise de décision est très important. C’est un temps de réflexion qui permet une mise à distance des émotions pour revenir vers quelque chose d’un peu plus rationnel.